Début d’après-midi. Vous revenez de votre pause déjeuner, quand l’un de vos collaborateurs vous alpague en public, et vous dit qu’il ne veut pas effectuer la tâche que vous lui avez donnée ce matin.
Aïe ! Comment gérer cette situation ? Vous vous êtes sûrement déjà senti en désaccord avec votre propre chef, alors, oui, évidemment, vous comprenez que vos collaborateurs puissent l’être. En même temps, votre mission à vous, c’est de faire en sorte que cette équipe travaille efficacement.
Pourquoi êtes-vous si mal à l’aise ? Parce que vous êtes un Middle Man, à la fois managé par votre boss, et manager de votre équipe. Cette posture est complexe, et on peut avoir du mal à définir les limites de son pouvoir, de son influence et de son autorité.
Aujourd’hui, je vous propose une méthode et un outil concret : le Middle Man Test.
Le Middle Man Test
Le Middle Man Test, c’est quoi ?
Le Middle Man Test a été inventé par Mark Horstmann, un consultant américain qui m’inspire beaucoup. C’est même lui qui est à l’origine de la création d’Outils du Manager, il y a 12 ans ! J’écoutais son podcast, Manager Tools, et je lui ai proposé de développer la version française. Non seulement, il a accepté, mais il m’a donné tous les moyens pour que je fasse mon propre podcast. Bref, un gars super.
Et donc, le Middle Man, c’est vous. Vous qui êtes un manager mais aussi un managé.
C’est à dire que vous avez effectivement un N+1 (votre manager ou votre boss), mais vous avez aussi des N-1 (vos collaborateurs, votre équipe).
Être le Middle Man, c’est se rendre compte que :
- tout ce qu’on se dit à propos de notre manager, nos collaborateurs se le disent à notre propos ;
- tout ce que nous pensons à propos d’eux, notre manager le pense aussi à notre propos.
Mais c’est aussi un sacré atout, parce que cela permet :
- de mieux percevoir les limites de notre pouvoir et de notre autorité sur nos collaborateurs ;
- de mieux supporter et même de tirer parti des erreurs de notre N+1.
Aujourd’hui, nous nous intéressons au premier point. La semaine prochaine, je vous parlerai du second.
Ne tolérez pas des autres ce que vous-même ne feriez pas
Alors, que faire lorsqu’un collaborateur refuse d’obéir ? Remettez-vous tout simplement à votre place : celle du Middle Man.
Soyez vraiment honnête, ne vous laissez pas biaiser par votre peur d’avoir tort. Pour faire le Middle Man Test, demandez-vous si vous-même refuseriez une telle demande de votre chef.
- si oui, peut-être avez-vous dépassé une limite, et vous devriez vous remettre en question ;
- si non, alors la position de votre collègue ne tient pas et vous avez raison d’insister.
Beaucoup de managers oublient cette posture singulière qu’ils occupent, en particulier lorsqu’ils sont face à des comportements “récalcitrants”. S’ils se posaient la question de savoir s’ils feraient la même chose à leur chef, la plupart répondrait d’un “Bien sûr que non !” horrifié.
En général, on applique ce que notre chef demande, parce que c’est notre travail. Et si cela marche pour un niveau hiérarchique, cela marche avec tous les autres, le vôtre inclus.Les états d’âmes des uns et des autres sont importants, mais en règle générale, l’organisation de la structure prévoit que l’on coopère et que l’on aille dans le même sens.
Le test du Middle Man, c’est aussi une façon de s’assurer un respect mutuel, et une forme d’empathie avec ses collaborateurs.
Bien sûr, ce n’est pas leur obéissance que vous souhaitez obtenir. Vous attendez plutôt d’eux de l’engagement, et votre rôle est de demander plutôt que d’ordonner. Mais lorsqu’un collaborateur refuse une demande raisonnable, le choix n’est plus entre obéir et s’engager. Il est entre obéir et désobéir.
Comment savoir si vos demandes sont raisonnables ?
Votre mission, en tant que manager, est de faire fonctionner votre équipe. Vous avez des objectifs. Mais vos collaborateurs peuvent parfois vous faire douter de la rationalité de vos demandes.
Vous doutez ? Eh bien, faites le test du Middle Man. Demandez-vous honnêtement : “ Lorsque j’étais à ce niveau hiérarchique, aurais-je considéré cette demande déraisonnable ?”.
Se poser cette question, c’est aussi éloigner tout risque de condescendance de type “Moi je le ferais, mais eux n’ont pas les capacités de gérer ce genre de tâche”. C’est faux. Ne soyez pas paternaliste. Vos collaborateurs sont des sujets responsables. Ne leur retirez pas cela.
Votre job, c’est aussi de permettre à vos collaborateurs d’évoluer. Et cela, vous ne pouvez le faire que si vous avez confiance en leurs capacités, et que vous leur faites savoir. En étant condescendant, alors que vous croyez les protéger, vous leur transmettez le message qu’il vous sont inférieurs.
Voilà pourquoi ce test est si important. Parfois, quand ils refusent vos ordres, c’est parce qu’ils ne se croient pas capable de le faire, qu’ils ont peur de ne pas réussir. Si vous retirez votre demande, vous les confortez dans cette opinion négative qu’ils ont d’eux-mêmes.
Évitez les confrontations en public
Désormais, vous avez l’outil bien en main, vous savez que vous êtes à votre place, que votre demande est raisonnable et que votre collaborateur n’a a priori pas de raison de s’y opposer.
Malgré tout, si un membre de votre équipe refuse une de vos demandes en public, vous avez deux problèmes :
- le lieu de l’opposition (en public) ;
- la façon dont il l’exprime (en bloc, sans discussion).
Une erreur de votre collaborateur ne justifie pas une réprimande publique de votre part. Ne jetez pas de l’huile sur le feu.
Et surtout, souvenez-vous d’une chose. Vous n’avez pas à avoir réponse à tout, tout le temps. Prenez votre temps, et abordez le sujet avec votre collaborateur plus tard, et en privé. Evitez l’explosion, évitez la surenchère. Non seulement, cela ferait passer le message selon lequel la joute verbale est un bon moyen de régler un désaccord. Mais en plus, votre collaborateur risquerait de répondre à nouveau, et de dire des choses qu’il regretterait. Ne le mettez pas dans cette position.
Prenez du recul, gardez votre sang-froid. Vous discuterez un autre jour. Exprimez simplement votre surprise et proposez-lui poliment de se rencontrer pour en parler, en lui disant : « Ecoute, je suis très surpris de ta réaction. On ne va pas régler cela maintenant. Je vais y réfléchir et nous allons en reparler en privé rapidement ».
Cela vous donne le temps de faire votre Middle Man Test.
Privilégiez un feedback en privé
La question du désaccord exprimé en public revient très souvent, parce que la plupart des managers n’ont jamais appris à réagir dans ce genre de situation. Non seulement, ils ressentent de la honte à être attaqués en public, mais en plus ils ressentent de la honte à ne pas savoir comment réagir, et que cela se voit.
Que le problème se pose dans un contexte privé ou public, c’est pareil : il doit être discuté en privé. Le feedback est un outil à usage privé, parce qu’individuel.
Voici à quoi ressemblerait un feedback négatif sur le problème du lieu :
« Quand tu t’opposes publiquement à une demande de ma part, cela crée de la tension au sein de l’équipe. Peux-tu le faire différemment la prochaine fois ?
– Mais je ne suis pas d’accord avec ta demande/la tâche/le projet.
– D’accord, on peut en parler. Mais là, maintenant, je te demande de changer ta façon d’exprimer ce désaccord. Peux-tu accepter de ne pas le faire en public à l’avenir ? »
Et voici comment aborder la manière :
« Quand tu refuses une demande raisonnable de ma part, cela affecte notre relation. Pourrais-tu le faire différemment ?
– Mais je ne veux pas le faire !
– Oui, je comprends cela. Mais je te demande d’envisager d’exprimer ton désaccord différemment. N’y a-t-il pas d’autres moyens ?
– Je ne sais pas
– Eh bien par exemple, tu aurais pu dire que tu avais des préoccupations, ou poser des questions, ou demander une autre explication. Tu pourras essayer de cette façon-là la prochaine fois ? »
Dans tous les cas, si un collaborateur s’oppose en public à votre demande, vous devrez lui faire ce feedback. Même si votre Middle Man Test s’est avéré négatif, que vous vous êtes aperçu que votre demande n’était pas raisonnable, et que votre collaborateur a donc raison sur le fond, il se trompe sur la forme. Vous pouvez alors vous excuser pour votre erreur, et lui demander de travailler sur la sienne.
En dernier recours, exercez votre pouvoir hiérarchique
Votre collaborateur continue de s’opposer, alors que vous êtes sûr que votre demande est raisonnable (grâce au test du Middle Man, vous savez que vous ne la refuseriez pas vous-même) ? Vos feedback négatifs ne suffisent pas ?
Vous devez vous résoudre à utiliser votre pouvoir hiérarchique. Ce n’est pas forcément plaisant, mais ça peut être nécessaire. Parce que ça n’est pas plaisant justement, certains auront tendance à s’énerver plus que de raison, à devenir colérique et à dépasser les limites. Pour éviter ces écueils, je vous propose un exemple d’utilisation du pouvoir hiérarchique.
« Devant ton opposition, j’ai réévalué ma demande. Elle me semble raisonnable : je ne m’y serais pas opposé moi-même, ni à mon N+1 d’aujourd’hui, ni lorsque j’étais à ton poste. Tu as évidemment le droit d’être en désaccord, mais refuser de l’exécuter, c’est différent, c’est de la désobéissance. Selon moi, voici tes options :
- Tu peux revenir en arrière et faire ce que je te demande. Ce serait bien, et nous pourrions en discuter un peu plus.
- Tu peux refuser en bloc. Je ne peux évidemment pas te forcer à le faire. Je ne peux pas te contraindre, je peux seulement prévoir des conséquences. Et je le ferai, sous forme de feedback négatif, puisque tu refuses d’exécuter une tâche pourtant raisonnable, et que tu pèses sur l’équipe, puisque quelqu’un d’autre devra le faire à ta place.
- Tu peux en faire un principe, et faire remonter ça aux RH ou à mon N+1. Je te prévoirai une rencontre avec lui. Pareil pour les RH, je t’accompagnerai dans ta démarche. Dans les deux cas, tu es toujours responsable du travail qui t’es attribué, et la deadline se rapproche. Ce n’est pas un exercice sur la désobéissance civile, ni une expérience sociologique. Le travail doit être fait de toute façon.
Avant que tu ne décides, je te donne mon conseil : reviens en arrière. Ce que je te demande n’est pas déraisonnable, et la vie n’est pas parfaite. Ce n’est pas une situation idéale, mais quasi aucune ne l’est. Parfois, faire partie d’une équipe et collaborer avec d’autres signifie faire quelque chose dont tu n’es pas fan, ou pas à ta manière ».
Vous l’avez compris, ici, vous utilisez le pouvoir hiérarchique pour deux raisons :
- votre demande est raisonnable (le Middle Man Test est positif) ;
- vous avez essayé la méthode douce (le feedback).
Voilà une méthode parmi d’autres. Mais c’est une méthode éprouvée, dont les effets sont encourageants. En général, cela suffit pour faire redescendre une situation qui avait dégénéré pour pas grand chose.
En bref, lorsque vous rencontrez de la résistance de la part d’un de vos collaborateurs, cela peut être justifié, et vous devriez toujours vous remettre en question. Le test du Middle Man est un outil parfait pour ça. Mais souvent, ça n’est pas justifié. Et lorsque ça ne l’est pas, ne tolérez pas que l’on vous fasse ce que vous-même ne feriez pas à votre manager. Votre rôle de manager dans ce cas, c’est de passer à l’action pour sortir votre collaborateur de l’impasse dans laquelle il s’engage.
Vous vous rendrez service.
Vous lui rendrez service.
Vous rendrez service à votre entreprise.
En résumé : lorsqu’un collaborateur s’oppose à votre demande publiquement, ne vous énervez pas.
- proposez-lui d’en reparler plus tard, et programmez un rendez-vous individuel ;
- avant de le recevoir, faites le test du Middle Man ;
- si vous en déduisez que votre demande n’était pas raisonnable, excusez-vous, mais demandez-lui de travailler sur sa façon de s’exprimer ;
- si votre demande était raisonnable, faites-lui un feedback pour lui ré-expliquer votre demande, et pour lui demander de modifier son comportement ;
- s’il continue de s’opposer, usez de votre pouvoir hiérarchique avec bienveillance.
La fois prochaine, nous reparlerons du test du Middle Man, pour apprendre à l’utiliser dans l’autre sens, c’est à dire concernant votre N+1.
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Manon Watine pour ODM