Améliorer la performance de son équipe, c’est un peu le but ultime de tout manager. Pourtant, ça n’est pas si simple. On ne peut pas manager uniquement au feeling ou à base de pep talks douteux. Pour clore notre série autour du management antifragile, je voulais absolument vous parler de la stratégie de l’haltère, qui provient du monde de la finance, et que Taleb développe dans son concept d’antifragilité. On peut l’adapter au management, et je dirais même qu’on DOIT l’adapter au management, si on veut améliorer la performance de son équipe.
Qu’est-ce que la stratégie de l’haltère ?
La stratégie de l’haltère, initialement pratiquée dans le monde de la finance, consiste à jouer sur les extrêmes plutôt que sur la moyenne. Elle est aussi appelée la stratégie du « meilleur des deux mondes ». En résumé, cela consiste, pour un investisseur, à prendre deux positions extrêmes plutôt qu’une seule position moyenne. Bref, à prendre des risques plutôt qu’à les limiter. L’idée, c’est que si l’une des deux positions perd beaucoup, l’autre, elle, pourra performer à son maximum.
Nassim Nicholas Taleb, dans son livre Antifragile : les bienfaits du désordre, sur lequel nous avons publié une série de 5 articles (dont celui-ci est le dernier), qualifie cette stratégie d’antifragile. Voyons comment la décliner en entreprise, et surtout en management.
Comment mettre en place la stratégie de l’haltère en entreprise ?
L’équivalent en entreprise serait par exemple d’avoir dans un seul groupe, deux businesses. L’un serait très stable, mais moyennement rémunérateur, l’autre serait plus risqué, mais plus rémunérateur. L’objectif : répartir le risque. Le business de gauche assure le quotidien et le récurrent. Celui de droite permet des gains bien plus importants, mais plus rares.
Les stratégies appliquées à chacune de ces entreprises seront diamétralement opposées, avec des processus clairement définis pour chacune. Le management sera ainsi bien plus efficace que si vous étiez sur une stratégie fade, en mode « centre mou ».
En management, justement, comment transposer ce modèle ? Il s’agirait pour vous, manager, de privilégier un management orienté performance. Plutôt que de demander à tous vos collaborateurs des performances moyennes, mais peu risquées, vous pourriez mener deux stratégies en parallèle.
Dans la partie de gauche, que l’on appellera le « Pôle 1 », il s’agira de se concentrer sur tout ce qui est récurrent et répétitif, avec pour objectif d’atteindre la perfection (en logistique, en comptabilité, en fidélisation de clientèle, etc.). Cette partie comprend tout ce qui doit être fait régulièrement et de la même manière, pour devenir confortablement invisible pour le client. Dans ce Pôle 1, vous trouverez plutôt des profils DISC de type S et C.
Dans le Pôle 2, à droite, on trouvera tout ce qui est développement : prospection, nouveaux produits, nouveaux marchés, innovations, etc. Votre collaborateur, ce héros, y gère l’inconnu, le nouveau, le choc et la crise, et il prend des risques régulièrement. Cette partie couvera les embryons de votre future croissance. Vous mettrez plutôt des profils D et I dans ce pôle.
Vous vous demandez peut-être en quoi cette organisation permettrait d’améliorer la performance de votre équipe… Tout simplement parce qu’elle est antifragile ! D’une part, elle a une capacité d’absorption des chocs, dans le Pôle 1 : inébranlable, fiable, qui roule quoi qu’il arrive. D’autre part, parce qu’elle a une capacité d’adaptation, de réactivité et de créativité dans le Pôle 2. En clair, avec la stratégie de l’haltère, vous mettez toutes les chances de votre côté, en ayant le meilleur des deux mondes : la régularité et le développement.
Améliorer la performance de son équipe en 5 étapes
Étape 1 : constituer les deux pôles
Vous allez donc décomposer votre activité en deux pôles :
- Le pôle 1, dans lequel vous ne prendrez pas de risque, puisqu’il contient toute la partie essentielle à la survie de votre entreprise.
- Le pôle 2, dans lequel vous prendrez des risques, dont les gains potentiels seront élevés, mais dont l’échec ne mettrait pas l’entreprise en péril.
Étape 2 : pratiquer la « via negativa » (Pôle 1)
Quèsaco ? La base pour devenir antifragile, avant de développer la performance et la prise de risque, c’est d’abord de réduire les obstacles. Pourquoi ? Parce qu’avant d’augmenter la complexité et le risque en Pôle 2, vous devez vous débarrasser de ce qui vous fragilise en Pôle 1. Par exemple :
- Plutôt que d’engager un manager pour redynamiser l’équipe, séparez-vous du collaborateur qui enquiquine l’équipe depuis toujours ;
- N’investissez pas dans ce logiciel complexe qui réduit le risque d’erreur de 0,0001 %, parce que celui-ci va alourdir votre process. Acceptez ce taux d’erreur ;
- Plutôt que de rédiger une procédure énorme pour prévoir tous les cas d’erreur, donnez un budget de 1 000 euros à votre service client ;
- Plutôt que de vous plier en quatre pour ce client qui ne sera jamais content et ne paie jamais ses factures, virez-le ;
- Plutôt que d’argumenter des heures et des heures avec ce client insatisfait, remboursez-le et passez à autre chose ;
- Etc.
Étape 3 : traquer la sur-optimisation (Pôle 1)
L’optimisation à outrance rend les systèmes fragiles. Les services associés au Pôle 1 (comptabilité, gestion, logistique…) sont par définition ceux qui se répètent. Il est donc légitime de vouloir les optimiser au maximum pour les rendre très efficaces en réduisant les efforts. Mais attention à ne pas tomber dans le too much ! Les rigidités font que la moindre erreur est répercutée sur tous les éléments, ce qui déclenche des réactions en chaîne parfois inarrêtables. Par exemple, quand la crise du coronavirus a frappé, les entreprises qui avaient trop de stock ont été moins prises au dépourvu que celles qui travaillaient en flux tendu absolu. Pôle 1 ne rime pas avec zéro réactivité.
Étape 4 : développer les cellules (Pôle 1)
J’ai déjà abordé ce sujet dans le deuxième article de notre série antifragile. Dans un système classique, en silos, les équipes sont constituées de la façon suivante : plusieurs personnes similaires dans leurs compétences et dans leurs façons d’agir (équipe logistique, équipe comptable, etc.). Le système en cellules cumule plusieurs personnes polyvalentes sur un même projet. Par exemple, l’équipe web comprendrait des développeurs, des webdesigners, des rédacteurs, des community managers, etc. (plutôt qu’un silo de rédacteurs, un silo de développeurs, et ainsi de suite). C’est peut-être plus coûteux, mais c’est moins risqué, et c’est exactement ce que l’on veut dans le Pôle 1, pour que le Pôle 2 puisse réellement prendre des risques.
Étape 5 : prendre des risques mesurés à haute fréquence (Pôle 2)
Le Pôle 2 doit concentrer votre énergie et vos investissements au quotidien, puisque c’est le pôle avant-gardiste, celui qui pave la voie à votre croissance. Dans celui-ci, je vous conseille d’encourager l’initiative, l’innovation et donc l’erreur. Dans ce pôle, vous devez mener des tests en permanence. Pour cela, encouragez vos collaborateurs à se comporter en héros, à être à l’affût de la moindre opportunité, à avoir confiance en leurs idées, à lancer des projets ambitieux ou un peu fous… Engager 10 projets en sachant que 8 échoueront probablement (du moment qu’ils ne mettent pas toute la structure en péril), c’est parier sur 2 axes de performance hyper enrichissants, et sur 8 opportunités d’apprendre pour réussir la fois suivante.
Et voilà, nous arrivons à la fin de cet article, et de notre série antifragile. Pas de test cette fois-ci, le sujet est spécifique et personnalisable à l’infini. J’espère que tout cela vous enthousiasme autant que moi ! La lecture du livre de Taleb a tenu lieu de véritable révélation pour moi. J’en ai tiré bon nombre d’enseignements, et il m’était impossible de ne pas vous les transmettre ensuite. Tendre vers un système antifragile, c’est effectivement améliorer la performance de son équipe, et pariant sur une bonne organisation, une bonne gestion des risques et des erreurs, et surtout, un management qualitatif. Rejoignez-nous sur le forum ODM, nous sommes nombreux à échanger avec passion sur le management, l’organisation et le relationnel en entreprise… On vous attend !
À bientôt !
Manon Watine pour ODM