La semaine dernière, j’ai eu l’immense plaisir de recevoir Charles Pépin dans le podcast, pour parler de confiance et de management. Charle Pépin est philosophe et romancier. Il a publié en 2018 l’essai « La confiance en soi, une philosophie », qui m’a énormément inspiré. Ma conviction à moi, c’est que la confiance (en soi et en les autres) est une clé de réussite pour l’entrepreneur et le manager. La confiance est un des concepts « piliers » d’Outils du Manager. Son dernier essai est donc une référence pour moi, car il a confirmé mon intuition et renforcé ma pratique dans le domaine. C’est ce que j’aime beaucoup dans le travail de Charles Pépin : la philosophie est rendue pratique. Dans cet article, je reprends les thèmes autour desquels nous avons échangé durant cet entretien : la confiance du manager en lui-même et en ses collaborateurs, comment donner confiance aux autres, et le rôle de la confiance dans notre capacité à décider.
Pourquoi manager par la confiance ?
Charles Pépin est chroniqueur, romancier, essayiste, podcasteur, conférencier… Mais avant tout cela, il a été enseignant et continue aujourd’hui d’intervenir auprès du public, et notamment dans les entreprises. C’est cet aspect qui m’intéresse pour Outils du Manager, évidemment ! Je crois profondément que la philosophie, la psychologie et le développement personnel sont des disciplines à croiser dans nos pratiques.
Quand on vous parle de confiance en management, vous associez certainement assez vite avec la question du contrôle… « Il faut mesurer les risques », « On ne peut pas accepter tout et n’importe quoi… », « Je ne peux pas laisser mes collaborateurs en roue libre », et surtout la fameuse : « La confiance n’exclut pas le contrôle » ! Ces phrases, Charles Pépin les a entendues à maintes reprises, au lycée comme en entreprise. Moi aussi, d’ailleurs, dans les miennes comme dans celles dans lesquelles je suis intervenu.
C’est pourtant tout l’inverse que je conseille sur ODM, et Charles Pépin abonde en ce sens. L’instant de la confiance est un instant de confiance aveugle. Il ne peut pas être autrement. Vous pouvez contrôler après, pourquoi pas, mais avec comme objectif d’informer le collaborateur sur sa performance. On appelle cela le feedback. Et quand vous faites un feedback à un collaborateur, vous lui exprimez votre confiance pour réussir. C’est tout votre talent de manager : de donner confiance aux autres pour qu’ils se développent. Vous n’êtes pas uniquement celui qui contrôle, qui flique, ou applique des processus rationnels. Vous avez aussi des objectifs d’épanouissement et de prise d’autonomie pour vos collaborateurs, et un pouvoir décisionnel.
Le concept de confiance, dans votre position, se trouve donc en 3 « lieux » :
- La confiance que vous devez nécessairement avoir en vous-même, en votre compétence et en votre expertise. Elle est essentielle pour votre assise à vous, mais elle est aussi intrinsèquement liée à votre capacité à faire confiance à vos collaborateurs ! Charles Pépin parle très bien de ce cercle vertueux : pour pouvoir faire confiance aux autres, il faut pouvoir lâcher prise, donc avoir suffisamment confiance en soi.
- La confiance que vous devez avoir, et insuffler en les autres. Vous devez être confiant quant aux compétences de vos collaborateurs, pour pouvoir les laisser prendre des initiatives.
- La confiance « tout court », comme dit Charles Pépin. Une confiance en « je ne sais quoi, mais je le sens bien, j’ai foi en l’avenir. Ça va le faire ». Celle-là est indispensable : d’abord parce que sinon votre travail n’aurait aucun sens, mais aussi parce qu’en temps que manager, vous devez prendre des décisions. Or, dans toute décision, il y a une part d’incertitude et de risque.
Cela ne veut pas dire que vous ne devez pas douter, ni que vous êtes le meilleur, ni que vous savez tout. Au contraire, si vous avez globalement confiance, en vous, en les autres, et en « le reste », vous saurez combler les manques : les incertitudes, les peurs, le manque de savoir, etc.
La confiance en soi et le charisme sont-ils liés?
Costume, cravate, chaussures cirées, sourire Colgate, voix qui porte et « coolitude »… Cette image colle à la peau des chefs d’entreprise et des managers, alors même que le monde du travail s’est globalement détendu. Le manager est supposé être ce personnage charismatique en toute situation, qui guide les troupes avec brio (vous ne me croyez pas ? Tapez donc « chef d’entreprise » ou « manager » dans Google Images… Vous verrez !).
Je fais de l’humour, mais en vérité, le charisme est un concept qui m’intéresse beaucoup. J’en ai même fait une formation, c’est dire ! Naturellement, j’ai donc posé la question suivante à Charles Pépin : « Le charisme et la confiance en soi sont-ils liés ? ». Sa réponse est hyper intéressante.
À l’occasion d’une conférence, Charles s’est intéressé aux grandes figures charismatiques telles que les rockstars. Son constat : ces êtres charismatiques en public manquent, comme nous tous, de confiance en eux ! La différence, c’est que quand on fait preuve de charisme (et c’est avant tout une question de moment, plutôt que de personnalité), on « fait quelque chose » de ce « doute humain » qui nous habite tous. On le transforme. L’être charismatique va puiser chez les autres la confiance qui lui manque. Repensez à vos collaborateurs : si vous ne leur faites pas confiance, si vous ne leur faites pas part de votre admiration, si vous ne les regardez pas « comme des héros » comme je le dis souvent, qui le fera ?
Le charisme, c’est donc une attitude qui va VERS la confiance mais qui s’origine plutôt dans une fragilité, une vulnérabilité assumée avec talent. C’est la conquête de la confiance par quelqu’un qui en manque, mais qui a l’audace d’aller la chercher. C’est un pari sur « l’être ensemble ».
Charles Pépin nous montre donc bien l’importance de « se porter les uns les autres ». Attention, cela ne veut pas dire faire à la place, anticiper, diriger… Pour que vos collaborateurs soient confiants et puissent être charismatiques, ils ont besoin, au même titre que vous, qu’on les considère « capables ». Cela résonne très fort avec deux concepts récurrents chez Outils du Manager :
- Celui de la distinction entre le Pourquoi et le Comment : vous expliquez le Pourquoi de leur rôle, de leur poste et de leur projet à vos collaborateurs, et eux se chargent du Comment. Vous avez confiance en eux et en leurs capacités pour qu’ils trouvent les solutions.
- Celui du « Faites de vos collaborateurs des héros » que j’évoquais juste avant. En tant que manager, vous devez savoir vous retirer pour ne plus donner que de la confiance et de l’admiration aux autres, et ainsi « booster » leur réussite.
Comment développer sa confiance en les autres ?
Avoir confiance en les autres
Charles le dit à plusieurs reprises : dans l’instant de la confiance, il y a une énigme. C’est l’énigme de la relation humaine, et plus généralement, de la vie (l’inconnu). En tant que manager, vous confiez donc une mission « pour de vrai », sans douter de l’autre. Puis, éventuellement, vous contrôlerez.
L’un des éléments de la confiance, selon Charles Pépin, c’est le passé, l’expérience :
- Soit, on reproduit à l’identique ce qui a fonctionné, et l’on n’est pas dans la confiance. On est dans de l’apprentissage, de la répétition.
- Soit, on ne peut pas répéter cette recette qui nous rassure, donc la confiance intervient. Parce qu’on n’a pas le choix, peut-être, mais surtout parce que l’expérience nous donne la confiance nécessaire pour tester quelque chose de neuf.
Par exemple, lorsque vous déléguez une nouvelle tâche à un collaborateur, vous êtes dans la confiance. Vous lui avez déjà délégué des choses, cela s’est très bien passé. Ok, mais là, c’est nouveau. Il y a une part de risque, vous ne savez pas si cela marchera ou pas. Et pourtant, votre confiance est conditionnée par une précédente réussite.
Cela signifie que la compétence nourrit la confiance. Pas forcément la compétence exacte qui est nécessaire au challenge que vous lui confiez, mais le fait qu’il ait réussi, déjà, des choses dans le passé.
Donner confiance aux autres
Vous êtes peut-être convaincu des vertus d’avoir confiance en les autres et en soi. Le problème, c’est que vous pouvez être amené à travailler avec des collaborateurs qui ont du mal à se faire confiance. Charles Pépin donne 5 pistes pour agir et les aider à développer leur confiance.
- D’abord, la donner. Cela paraît tout simple, mais avant d’agir pour donner sa confiance aux autres, il faut le leur dire. Faire le don verbal de la confiance, dire à votre collaborateur « J’ai confiance en toi », c’est la base. Le simple fait de verbaliser à quelqu’un qu’il en est digne développe sa confiance.
- Ensuite, user d’exemplarité. Par exemplarité, Charles Pépin n’entend pas « montrer qu’on est irréprochable ». Au contraire, cela signifie oser vous engager vous-même, même lorsque vous n’êtes pas absolument sûr de vous. Montrer que vous êtes capable de faire preuve d’audace et d’humilité, et de vous lancer en sachant que vous risquez de vous tromper. Vous faire confiance en acceptant la possibilité de l’échec. Cela veut donc dire que vous devez savoir reconnaître vos erreurs devant votre équipe.
- Accepter la possibilité de l’échec, c’est aussi reconnaître que l’échec peut être utile. Dans son essai précédent, « Les vertus de l’échec », paru en 2016, Charles étudie ce sujet. Le droit à l’erreur de tous au sein de l’équipe doit donc être accordé et prononcé. Vous devez absolument leur dire qu’ils ont le droit de se tromper ! L’important, s’il y a « ratage », c’est d’en tirer un enseignement, de comprendre pour avancer. Parfois, il faut même plusieurs erreurs avant de s’apercevoir où est l’erreur, que ce qu’on fait est une erreur, ou de trouver comment faire autrement. Il y a 3 choses à dire à votre équipe au sujet de l’erreur :
- Une erreur d’audace a plus de valeur, est plus vertueuse qu’une erreur due à la frilosité ou au conformisme ;
- Le déni de son erreur, lui, n’est pas acceptable ;
- Corriger ses erreurs est le meilleur moyen d’apprendre.
- Lorsque votre collaborateur n’a pas confiance en lui, Pépin conseille quelque chose qu’il a lui-même expérimenté avec ses élèves. Il s’agit de permettre à l’autre de se rassurer, de reprendre des repères dans sa zone de confort. Une nouvelle mission fait peur à votre collaborateur ? Proposez-lui de refaire ce qu’il sait déjà faire. Autrement dit, permettez-lui de se sentir fort, de reconnaître qu’il a des compétences, pour qu’il retrouve l’élan, l’énergie et la confiance. Il s’autorisera ensuite beaucoup plus à explorer d’autres choses. À vous de connaître suffisamment vos collaborateurs pour développer une sorte de « sens du timing » (savoir quand il est temps de les rassurer, et quand c’est le moment d’oser).
- Enfin, Charles Pépin parle de joie de vivre. On a trop souvent l’impression que pour avoir l’air compétent, il faut être très sérieux, voire sinistre. Spoiler alert : ça ne donne pas vraiment des ailes aux collaborateurs. Au contraire, votre propre joie de travailler, de collaborer, de vous améliorer, etc. est une clé pour donner confiance à ceux qui bossent avec vous.
Encourager la liberté
On entend très souvent des salariés se plaindre de ne pas avoir assez de liberté au boulot. La vérité, c’est que souvent, cela nous arrange. Sartre l’a montré tout au long de son œuvre, nous rappelle Charles Pépin. Il est difficile d’assumer sa liberté et de s’en saisir vraiment. Derrière cette plainte, on trouve de la complaisance, et du confort. Nous avons envie d’obéir, de ne nous poser aucune question, de n’exercer aucun sens critique. Mais une entreprise (ou une équipe) qui vit, c’est une entreprise où l’on se pose des questions.
D’ailleurs, parfois, ce manque de liberté est plus fantasmé que réel. Charles Pépin travaille en binôme avec des coaches au sein d’entreprises, et c’est quelque chose qu’il observe. La question à vous poser, et à poser à vos collaborateurs, c’est : « Est-ce que vraiment, c’est ma liberté qui est restreinte, ou est-ce que c’est moi qui croit qu’elle est plus restreinte qu’elle ne l’est vraiment ? ».
J’ai moi-même un exemple vécu à ce sujet. Une personne de mon entourage avait repris une boîte dont l’ancien patron ne prenait aucun risque et n’autorisait aucune autonomie. Quand il a voulu relancer et remettre en action ses collaborateurs, qui se plaignaient de ce manque, finalement, cela s’est avéré très compliqué ! La plupart d’entre eux s’étaient installés dans ce confort qui consistait à ne pas prendre de risque, mais de se plaindre quand même de ne pas pouvoir en prendre.
Ce qui nous fait le plus peur, c’est parfois nous-même et notre propre liberté. C’est donc particulièrement important d’encourager la liberté en créant des situations dans lesquelles vos collaborateurs devront faire preuve d’audace. Je vous renvoie aux 5 points listés ci-dessus.
Peut-on apprendre à décider ?
C’est l’un des passages qui m’a le plus parlé dans « La confiance en soi, une philosophie ». Charles Pépin fait la différence entre un choix et une décision :
- Le choix : rationnel, entre A ou B, meilleure solution qui se dégage, sans débat ;
- La décision : feeling, intuition, voire prise par défaut, bref, quand on ne sait pas.
Donc, toute décision comprend une dimension incertaine. La confiance est justement là pour compenser la limite du savoir rationnel : « En dépit des études, des recherches, des analyses, je ne suis pas sûr de ce qui est mieux. Je prends donc la liberté de faire confiance à mon expérience, voire à mon intuition pour prendre une décision malgré mon manque de savoir ».
C’est intéressant, parce que beaucoup de gens pensent que les décideurs décident parce qu’ils savent. Alors qu’en réalité, on ne prend de décision que quand le savoir est « trop petit, limité », insuffisant. Décider, c’est aller au-delà du savoir objectif et trancher, s’engager, en prenant un risque. C’est se saisir de sa liberté. Et finalement, cela demande plus de courage et d’audace que de faire un choix.
Une deuxième idée développée dans l’essai a vraiment débloqué beaucoup de choses pour moi. C’est l’idée qu’on ne décide pas PARCE QUE l’on sait, on décide POUR savoir. Charles Pépin précise : quand vous prenez une décision, vous allez forcément impacter le réel et le reconfigurer. Vous verrez le résultat produit, et vous vous adapterez en fonction de ce résultat.
Peut-on apprendre à décider, alors ? Si vous n’osez pas décider, c’est probablement par peur de n’être pas parfaitement prêt, de ne pas avoir toutes les données, de faire une erreur. Or, l’action est du domaine de la contingence. Il y a toujours une forme de hasard dans la conséquence sur le réel. Donc, encore une fois : il ne s’agit pas de savoir. Il s’agit de s’engager et d’avoir confiance en vous, en les autres et en un « je ne sais quoi » suffisamment porteur pour vous lancer.
Pépin termine ainsi sa réponse à ma question : pour lui, il faut faire la distinction entre sens du risque et amour du risque. Avoir le sens du risque, c’est assumer la part de risque qui reste après réflexion. L’amour du risque, ce serait courir après le risque. Dans les grandes écoles de commerce ou d’ingénieur, on nous apprend à réduire ce risque au maximum parce qu’il est l’ennemi. On en développe presque une aversion pour l’intuition, la réaction, l’inconnu, l’improvisation. Charles nous encourage à apprendre tout autant à « aimer le risque qui restera, car il en restera toujours. La vie, c’est sa définition, elle nous prend au dépourvu ». Un manager, c’est donc quelqu’un qui intègre cette dimension-là au travail. Qui donne envie de vivre, qui donne du désir, de la confiance, de la liberté.
Et voilà ! Passionnant, non ? Pour ma part, j’ai vraiment adoré cet entretien. Sachez qu’à la toute fin du podcast, nous abordons très rapidement un concept un peu plus éloigné du management, mais qui me plaît beaucoup : la différence entre optimisme et joie. Si vous voulez l’écouter, c’est par ici. Si cet article vous a plus, n’hésitez pas à vous abonner directement à la chaîne de podcasts de Charles Pépin, qui s’appelle Une philosophie pratique. Enfin, pour discuter de cet épisode, rendez-vous sur le forum ! On en parle dans cette rubrique. J’ai hâte de lire vos commentaires 😉