Durant mes dernières vacances, j’ai lu un livre qui prenait la poussière depuis un moment sur une étagère chez moi : « Double Double » de Cameron Herold. Bon, j’ai trouvé le bouquin moyen, mais il y a un passage qui m’a particulièrement intéressé. J’ai donc eu envie de le partager avec vous. Une des théories qu’il expose, c’est que tous les entrepreneurs sont bipolaires ou maniaco-dépressifs ! C’est très extrême comme théorie, mais c’est intéressant, alors je l’ai modifiée pour la rendre praticable dans le cadre de notre management.
Les phases de la motivation
Dans le bouquin, c’est illustré de la façon suivante :
En gros, sans être maniaco-dépressifs, nous passons tous plus ou moins par ces phases :
- Phase 1, l’optimisme « béat » : tout est possible, tout est réalisable, votre puissance est illimitée, votre trésorerie aussi et vous êtes prêt à déplacer des montagnes. C’est un état euphorique très puissant qui vous permet d’accomplir vos plus grandes réalisations, mais aussi vos plus graves erreurs !
- Phase 2, le pessimisme réaliste : les difficultés commencent à s’amonceler, les obstacles apparaissent, la croissance que vous voyiez infinie semble se limiter. Les planètes ne paraissent plus alignées, le monde à l’air de se liguer contre votre réussite. Petit à petit, votre esprit revient sur terre, vous commencez à voir les choses en gris, puis en noir.
- Phase 3, la crise de sens : grosse crise de motivation ! Plus rien ne vaut le coup, vous vous sentez désoeuvré et bien incapable d’affronter les challenges que vous vous étiez fixés dans la phase 1. Vous commencez à vous apitoyer sur vous-même ou à vous critiquer violemment, voire à blâmer la Terre entière.
Et là, selon les cas, vous allez passer à :
- La phase 4 a, le crash/burnout : c’est l’effondrement, la dépression. Vous vous retrouvez incapable de faire face et vous êtes contraint de vous retirer du jeu pour récupérer. Cela peut être dramatique pour vous et pour l’entreprise.
- Ou à la phase 4 b, l’optimisme informé et réalisateur. Vous vous rendez compte du progrès réel que vous pourrez faire. Vous passez à l’action différemment, de manière plus réfléchie, et obtenez des réussites intéressantes dans certains domaines.
Faire régulièrement l’effort de se positionner sur cette courbe est important. Le risque, c’est de se prendre parfois une « claque » (« Ah oui, en fait je n’en suis qu’au début, tout paraît idyllique, mais ça ne va pas durer…»), mais l’avantage, c’est de pouvoir rebondir de manière informée.
Votre collaborateur est-il démotivé ?
Cette première partie, c’était la théorie, et elle s’applique à vous autant qu’à moi. Mais c’est surtout dans son application au management qu’elle nous intéresse. Comment accompagner un collaborateur en phase de crise de sens ? Comment faire lorsqu’un imprévu, un élément de contexte ou un échec vient couper les ailes de votre meilleur collaborateur ? Je l’ai vécu il y a quelque temps dans l’une de mes entreprises.
L’un de mes meilleurs collaborateurs, appelons-le Marc, est un haut potentiel, et il est totalement dédié à la cause de l’entreprise, hyper investi dans sa mission. Au cours des deux dernières années, il a emmené son équipe à un niveau de performance inespéré dans un marché et un contexte très difficiles. Grâce à ses performances, nous étions prêts à passer à la vitesse supérieure et nous envisagions un énorme investissement pour décupler nos parts de marchés. Nous étions tous les deux galvanisés par nos succès récents, prêts à soulever des montagnes. Tous les voyants étaient au vert.
Et là, vous l’avez senti arriver évidemment, un changement soudain et totalement indépendant de nos performances rend impossible notre investissement. C’est un coup terrible pour la motivation de Marc. En gros, il passe subitement de la phase 1 (optimisme béat) à la phase 3 (crise de sens). Il doute de tout et envisage même de quitter l’entreprise. De mon côté, je ne comprends pas sa réaction. Je suis dans une position managériale différente de la sienne qui me permet de prendre du recul : je suis certes affecté, mais je relativise. Je suis plutôt dans la fin de la phase 3 et au début de la 4 a (optimisme réaliste).
Par contre, j’ai toujours besoin de lui et de son enthousiasme pour réaliser d’autres projets importants. Ma première réaction est de le secouer pour le remettre tout de suite sur les rails. Je lui dis que je ne le reconnais pas, que je suis étonné par son défaitisme ! Je mets en avant de nouveaux projets, tous plus challengeants les uns que les autres ! Le problème, c’est que plus je pousse, plus il s’auto-flagelle et s’enfonce.
C’est là que je comprends que nous ne sommes pas dans la même phase, lui et moi, et que je décide de changer de tactique.
Comment manager un collaborateur démotivé ?
D’abord, je l’ai écouté. J’ai pris du recul sur sa situation et je l’ai écouté longuement. Il m’a expliqué à quel point cette sale nouvelle l’avait affecté. En effet, il s’était donné corps et âme pendant deux ans pour voir aboutir ce projet, et tous ses espoirs venaient selon lui d’être anéantis. Il ne voyait plus comment trouver l’énergie de continuer.
Ensuite, j’ai essayé de le « renarcissiser ». J’ai commencé à souligner sa valeur personnelle. Personne d’autre que lui n’aurait pu nous emmener aussi loin cette année-là. J’ai listé ses qualités et ses forces. J’ai aussi parlé de son incroyable progression. Au cours de ces 2 années, il s’était développé comme jamais.
J’ai aussi fait le bilan et valorisé le travail qu’il avait fait. En effet, pendant ces 2 ans, il avait construit quelque chose de solide : une réputation sur le marché, une équipe ultra motivée et compétente, etc. Bref, il avait aussi apporté à l’entreprise une valeur énorme.
Enfin, je lui ai laissé du temps pour se reprendre. Et je lui ai donné rendez-vous quelques semaines plus tard pour une journée de réflexion sur l’avenir.
Et là, petit à petit, je l’ai vu se transformer. Il a repris des forces, et a recommencé à envisager un avenir pas si mal, puis intéressant, puis même motivant ! Progressivement, il a remonté un plan d’action réaliste, prenant en compte la nouvelle donne.
Bref, Marc venait de passer en phase 4 b. Et, même si c’est surtout lui qui a fait le boulot, je me félicite néanmoins d’avoir adapté ma stratégie managériale. C’est pour ça que vous devez savoir comment agir lorsque l’un de vos collaborateurs est en phase 3 : parce qu’il faut que vous réussissiez à l’accompagner en phase 4 b plutôt qu’en phase 4 a.
Pour cela, vous devez respecter 3 conseils :
- Ne faites pas l’erreur de la ligne droite. Je vous renvoie à mon article sur la courbe en queue de cochon, qui met un bon coup de pied dans la fourmilière concernant nos représentations de la progression. Tant que vous n’aurez pas assimilé ce concept de la queue de cochon, vous ne serez pas capable de mener efficacement vos équipes.
- Identifiez les phases (celle de votre collaborateur et la vôtre). Une fois que vous avez cette courbe en tête, ce qui est extrêmement important, c’est de savoir dans quelle phase votre collaborateur se trouve. Vous analyser plus finement ce qui lui arrive. Et c’est pareil pour vous : cela vous permet d’analyser la situation en tenant compte de votre état et de votre influence. Cela permet aussi de constater que nous sommes rarement en même temps dans la même phase, et c’est une bonne chose. On en parle plus bas.
- Réagissez rapidement ! Tout se passe dans les transitions. La différence entre une courbe ascendante et une courbe descendante, c’est la vitesse de réaction. Votre job de coach, c’est exactement celui-là : détecter les phases et réagir !
Ces conseils généraux sont valables pour chaque phase, mais s’adaptent évidemment à chacune.
Manager selon les phases de la motivation
Phase 1 : l’optimisme béat
Cela veut dire que sur la courbe en queue de cochon, votre collaborateur est en phase de progression. Quand votre collaborateur est dans cette phase, alimentez la croissance ! Mettez du charbon dans la « locomotivation » ! Faites plus de ce qui réussit ! Par contre, soyez hyper vigilant sur les dépenses et les embauches. Vérifiez bien que votre collaborateur reste dans son budget. S’il vous demande un investissement important mais que vous hésitez, temporisez un peu la décision.
Lorsque vous êtes vous-même dans cette phase, c’est le moment de parler à vos troupes pour les gonfler à bloc. Quand on est dans cet état, on est ultra convaincant, c’est donc aussi le moment de parler aux médias, aux clients, aux partenaires de l’entreprise en général.
Phase 2 : le pessimisme informé
Là, votre collaborateur va avoir besoin de votre soutien. En particulier, au fur et à mesure que les obstacles se présentent, il faudra lui montrer à quel point ce ne sont que des « péripéties » par rapport au grand projet qu’il poursuit. Aidez-le méthodiquement, par la réflexion et par des moyens supplémentaires, à résoudre ce qui l’empêche d’avancer. Votre objectif ici, c’est qu’il continue à avancer et prenne note des difficultés. La courbe de croissance initiale va progressivement arriver à un plateau.
Vous concernant : faites très attention à ne pas communiquer du négatif dans vos paroles ou vos attitudes. C’est en effet la tendance quand on est dans cette phase. N’oubliez pas le feedback positif.
Phase 3 : la crise de sens
C’est ici que votre collaborateur aura le plus besoin de vous. Renforcez-le en lui montrant ce qu’il a réalisé jusque-là. Faites ce beau bilan avec lui. Rassurez-le. Et surtout, surveillez ses horaires de travail. Il doit lever le pied pour se ressourcer. C’est le moment parfait pour faire un EDP (Entretien De Progrès). Et très important : donnez-lui un peu de temps !
Si vous êtes vous-même dans cette période, c’est le moment de parler à vos amis ou vos mentors (pas ceux qui vous enfoncent par leur pessimisme !). C’est le moment de me faire un petit mail pour me demander de l’aide, ou d’aller sur le forum. Faites aussi votre bilan personnel. Et surtout, évitez de montrer votre sale tête au boulot. Vous allez ruiner le moral de votre équipe. Prenez du temps pour vous, allez au cinéma plutôt que de faire des heures interminables à miner le moral de toute votre équipe. Si vraiment, vous devez aller au boulot, écoutez des podcasts sur la route, des trucs entraînants et joyeux, etc.
Phase 4 a : le crash et le burnout
Le but est bien évidemment d’éviter à tout prix cette phase critique. Mais si vous n’avez pas réussi à l’éviter, alors il n’y a qu’une solution. Du temps, de l’aide et du repos. Interdisez à votre collaborateur de travailler plus. Mettez-le en condition de se ressourcer. Même chose pour vous.
Phase 4 b : l’optimisme informé et réalisateur
Pour comprendre en quoi cette phase est différente de la phase 1, vous pouvez regarder cette vidéo jusque 3 minutes 50 : https://youtu.be/iAAzum_koPE.
Si vous avez réussi à le rassurer et à l’empêcher de continuer à vouloir déplacer des montagnes qui ne bougeront plus, vous pourrez construire la nouvelle croissance à venir. Sélectionnez les sujets qui valent le coup de se battre. Élaguez les projets (on a toujours tendance à en faire trop dans la phase 1). Ne vous concentrez plus que sur ceux qui sont réalistes.
Vous concernant, n’hésitez pas à embarquer votre équipe avec vous. Profitez de ce nouvel optimisme hyper efficace pour leur communiquer de positif, les motiver, et les faire plancher avec vous sur les nouveaux projets.
Voilà pour ce partage de lecture. Même si l’expression est un peu racoleuse, je crois que la courbe de motivation de Cameron Herold a plusieurs mérites. Déjà, elle nous rappelle que les fluctuations de motivation sont normales, et qu’elles sont même productives. Et surtout, elle met le doigt sur le fait qu’on doit y être attentif, autant pour nous managers que pour nos équipes, puisqu’on peut (et qu’on doit, à mon avis) agir dessus.