juin 25, 2020

Il y a quelque temps, j’interviewais Olivier Bérut lors d’un épisode de mon podcast. Et quelle interview ! Olivier Bérut est un peu un homme-orchestre : il lie de façon magistrale les mondes de l’entreprise, de l’art et de la recherche, dans une vision interculturelle de l’entreprenariat et du management. J’ai donc décidé de tirer un article de cette interview, extrêmement enrichissante pour nous, managers et chefs d’entreprise. Vous y trouverez un extrait de la réflexion analogique et renversante d’Olivier Bérut à propos du modèle Wuxing, tiré de la pensée chinoise ancestrale. Au programme, les 3 lois et les 5 éléments chinois de tout cycle, leurs correspondances en entreprise… Et un champ des possibles, qui j’espère, vous fascinera tout autant que moi !

Qui est Olivier Bérut ?

J’ai rencontré Olivier Bérut  il y a quelques années, parce qu’il est intervenu dans l’une de mes entreprises. J’avais trouvé sa venue et son discours si édifiants, que j’ai décidé de l’interviewer dans mon podcast il y a quelque temps. L’épisode s’est, sans surprise, révélé formidablement éclairant lui aussi. Impossible de ne pas en faire un article pour ma communauté lectrice plutôt qu’auditrice, et pour n’importe quel internaute qui se baladerait sur la toile ! 

Olivier Bérut est chef d’entreprise. Il a monté le cabinet de conseil On peut parfaire le monde en 2010. Il est aussi conférencier, enseignant chercheur, artiste, médiateur… Et un tas de choses encore. Parce que le cheval de bataille d’Olivier, c’est de faire du lien : notamment entre les mondes de l’entreprise, de l’art et de la recherche, mais aussi entre les cultures, et entre les personnes. 

Avant de créer sa boîte, Olivier Bérut a été dirigeant au sein de deux grands groupes français implantés à l’international. Il a donc notamment travaillé en Chine, avec des équipes chinoises, où il a découvert une toute autre facette du management. Olivier insiste bien : l’idée n’est pas d’abandonner nos modèles occidentaux, mais de les compléter par d’autres enseignements, et d’autres façons de penser. L’objectif de son discours : mêler astucieusement deux métaphores de l’entreprise – la métaphore occidentale de la machine, et la métaphore orientale du vivant. 

Le modèle des 5 éléments chinois : le Wuxing

De la sagesse chinoise, on connaît presque tous le modèle du yin et du yang. Ce sont les deux flans de la montagne, l’un éclairé et l’autre ombragé : les deux versants de toute situation. Mais la pensée chinoise utilise un deuxième modèle, plus méconnu, pour porter un autre regard sur le réel : le modèle des 3 lois et de leurs 5 éléments. 

En Chine, il s’applique à de nombreux domaines : cosmologie, médecine, musique, saisons, mais aussi gouvernance. Le cycle des 5 éléments et de leurs 3 lois décrit ainsi les cycles qui font la vie de l’empereur et de son empire : les hommes, leurs postes, les fonctions régaliennes et les moments d’un règne. 

Olivier Bérut en a fait une lecture adaptée à l’entreprise et à son fonctionnement. Sa lecture, à la manière de la pensée chinoise, n’a pas d’ambition de démonstration, insiste-t-il. Elle est analogique : elle met en correspondance des éléments qui n’ont a priori pas de liens scientifiques ou logiques, mais qui ont vocation à l’inspiration, à l’intuition, à la guidance. 

J’y reviens juste après, mais avant, petit détour par la « nomenclature » de cette fameuse théorie du Wuxing

Les 3 lois 

Les 3 lois qui lient les éléments entre eux sont les suivantes :

  • Une loi d’existence, qui dit que, pour exister, nous avons besoin de 5 dynamiques, 5 énergies, 5 façons d’être au monde et de s’engager dans le réel ;
  • Une loi de co-engendrement, qui dit que ces 5 éléments se nourrissent et s’engendrent les uns les autres dans un cycle ;
  • Une loi de co-régulation, qui dit que ces 5 éléments fonctionnent ensemble en ayant des effets rétroactifs les uns sur et les autres. 

Les 5 éléments 

Ces 3 lois organisent la vie et les échanges des 5 éléments, ou 5 dynamiques suivantes : 

  • Le bois : il représente la colère, la conquête, la guerre. Le bois (ou l’arbre) grandit en permanence, il étend son espace dans une réelle pulsion de conquête. En médecine traditionnelle chinoise, le bois correspond au foie. Dans l’empire, c’est le guerrier. Dans le cycle de la vie, c’est l’enfance : la découverte, le développement, l’avancée vorace. 
  • Le feu représente la réussite, la joie, « être au sommet et briller ». Pour l’illustrer, Olivier utilise cette image assez marrante : « le soleil, il fait 23h58 d’effort pour faire le malin deux minutes quand il est à son zénith ». En médecine traditionnelle chinoise, c’est le cœur, et au sein de l’empire, c’est le dirigeant. Dans le cycle de la vie, c’est le moment des idéaux, le moment où l’on rêve sa vie et où l’on fait des projets. 
  • La terre représente en médecine la digestion. C’est l’incarnation, la mise en œuvre des projets de vie, la descente dans le réel. Dans l’empire, elle est incarnée par les Hommes, les paysans, ceux qui font. 
  • Le métal est l’énergie du juge, car le métal de l’épée coupe. Il enlève, il retire. C’est le moment de la vie où l’on priorise. On a conscience que l’on va mourir un jour, et qu’il est temps d’arbitrer ses choix pour la suite : ce que l’on garde, ce que l’on change, ce que l’on laisse tomber. En médecine traditionnelle chinoise, le métal correspond aux poumons : c’est la respiration, prendre puis rejeter l’inutile. « C’est un peu l’équivalent de la crise de la cinquantaine », selon Olivier Bérut. 
  • L’eau est l’élément qui circule, qui est incolore, inodore, mais vital. Après la crise et les prises de décision de l’ère du métal, c’est le moment de la paix et de la transmission. Il n’y a plus de question de pouvoir ni de possession : l’objectif, c’est de faire croître les autres. Physiologiquement, cela correspond aux reins, à la vessie et au système reproducteur (et l’on voit bien le lien avec la transmission). 

Les 5 éléments chinois appliqués à l’entreprise, ou les « 5 agir » d’Olivier Bérut

Tout ça est captivant, vous ne trouvez pas ? Eh bien, ce qu’en a fait Olivier Bérut l’est encore plus en ce qui nous concerne, puisqu’il poursuit l’analogie pour la décliner au fonctionnement de l’entreprise. Il a d’ailleurs écrit un livre à ce sujet, que je vous conseille très vivement : L’entreprise en 5 agir.

L’élément bois dans l’entreprise

L’élément bois, dans l’entreprise, correspond à tout ce qui est en lien avec la nouveauté : la sortie d’un nouveau produit, une nouvelle collaboration, une embauche, l’ouverture à un nouveau secteur, un rachat d’entreprise… Bref, dès lors qu’il y a de l’ajout, « c’est du bois », explique Olivier. On peut donc dire que l’équipe de développement commercial est l’équipe bois. 

L’élément feu dans l’entreprise

Selon Olivier Bérut, l’élément feu, pour l’entreprise, c’est la partie projet. Ce sont aussi les personnes qui portent la vision, les idéaux, le rêve : l’équipe dirigeante et les managers. Leur mission, c’est d’être les gardiens de la joie des collaborateurs et des clients (des « Hommes » de l’empire). Olivier apporte une précision (à laquelle, vous vous en doutez, j’adhère à 150 %) : ils ne sont pas responsables du bonheur des autres. Leur responsabilité, c’est que les conditions de la joie de chacun au travail soient disponibles. Ensuite, chacun des Hommes a pour responsabilité de prendre en charge son bonheur. Nous y reviendrons ensuite. 

L’élément terre dans l’entreprise

L’élément terre, c’est l’incarnation de l’entreprise. Ce sont les « Hommes » justement, la partie opérationnelle et les processus récurrents. C’est ce qui fonctionne, et qui se reproduit à l’identique. L’analogie est très claire : tout ce qui est enterré devient, à terme, de la terre. C’est donc l’application, la transformation, l’incarnation. Tout devient terre…? Pas tout à fait… Reste le métal, que la terre n’absorbe pas.

L’élément métal dans l’entreprise

Si les corps vivants et les végétaux sont digérés par la terre, ça n’est en effet pas le cas des métaux. Souvenez-vous, dans la partie précédente, Olivier Bérut nous expliquait que la terre, c’est la digestion. Et bien, le métal, c’est ce qui n’est pas digéré. Le métal, c’est ce qui reste, ce qui doit être arbitré. Dans l’entreprise, Olivier le met en lien avec les parties juridiques, financières, le contrôle de gestion, etc. Bref, tout ce qui est normé et pour lequel on peut dire : « ça marche », ou « ça ne marche pas ». 

L’élément eau dans l’entreprise

Pour terminer l’analogie, parlons de l’élément de la fluidité et de la transmission, l’élément eau. L’eau, c’est donc l’élément de la transmission des richesses. Dans l’entreprise, c’est donc tout le capital matériel et immatériel : les actionnaires, évidemment, mais aussi tout le savoir-faire, la culture d’entreprise, les brevets, etc. 

Les 3 lois du Wuxing dans l’entreprise

La loi d’existence en entreprise

Parmi les 5 éléments analogiques du Wuxing, chacun correspond à un organe vital. Pourtant, l’un d’entre eux, peut-être le plus « humain » de tous, manque : le cerveau. 

Olivier Bérut éclaircit les choses. La première loi, la loi d’existence, est celle qui décrit pourquoi chacun des 5 éléments est indispensable. Ainsi, par analogie, chaque poste (commercial, dirigeant, opérationnel, contrôle, actionnaire) a sa place dans l’équilibre de l’entreprise. 

Et bien, le cerveau, c’est tout simplement l’organe des deux autres lois : la loi de co-engendrement (créer de la valeur ensemble), et la loi de co-régulation (se réguler mutuellement). 

La loi de co-engendrement en entreprise

Le cerveau, c’est donc l’organe qui fait en sorte que le cycle soit cycle. Et c’est à ce moment de sa « démonstration » qu’Olivier, personnellement, m’inspire le plus. C’est en faisant ces liens, certes analogiques, mais extrêmement intéressants et surtout, très concrets. Voyez plutôt :

  1. L’eau (mais aussi le sage, ou l’actionnaire) fait pousser le bois (le guerrier, ou le commercial), et disparaît pour lui donner naissance, puisque le bois l’absorbe. De la même façon que l’on n’entre pas en guerre sans l’accord du sage, l’actionnaire a son mot à dire quant au développement de l’entreprise. L’actionnaire n’est pas un simple porte-monnaie ! C’est celui qui finance le développement, qui nourrit la boîte. Il est un tiers avec un peu de recul : il n’est pas pris dans le quotidien de l’entreprise, mais il fait entièrement partie du cycle.
  2. Le bois doit servir le feu, le collectif. Il doit suivre la vision d’entreprise, la poursuite commune de l’équipe. Sans ce référentiel, le commercial pourrait avoir tendance à se précipiter, dans sa pulsion de conquête, et à lancer un mauvais produit par exemple. Le feu (le collectif) limite le bois, et le bois engendre le feu.
  3. Le feu, le dirigeant (ou le manager), doit nourrir la terre par ses cendres. Autrement dit, le dirigeant doit veiller à la symétrie des attentions. C’est-à-dire que, s’il est certes attentif au bonheur du client, il doit pour se l’assurer, commencer par se soucier de ses collaborateurs (de sa « terre ») : créer les conditions de l’expérience optimale pour que chacun s’épanouisse et soit au top de son expérience, donc de sa performance
  4. La terre agit. Les collaborateurs mettent en œuvre le projet collectif et incarnent l’entreprise dans son essence. Mais pour évaluer la réussite du projet, c’est le métal qui reste. Le contrôle des résultats est partie prenante du cycle de l’entreprise : la joie doit être créatrice de performance.
  5. Enfin, le métal disparaît à la faveur de l’eau (par la rouille). Le contrôle de gestion, les rapports de performance et autres indicateurs des résultats du cycle sont à nouveau transmis aux actionnaires, qui relancent le cycle. 

Chacun des 5 éléments en engendre un autre, de la même façon que dans l’entreprise chaque élément de la « chaîne » nourrit l’autre. Pour terminer, et parce que le cycle ne fonctionne pas sans cette troisième loi, parlons de la co-régulation dans l’entreprise, selon Olivier Bérut et la philosophie chinoise.

La loi de co-régulation en entreprise

Le cycle s’engendre perpétuellement d’un élément à l’autre, mais il nécessite aussi une logique dans l’autre sens. C’est la rétroaction, l’effet feedback. L’analogie ici fonctionne particulièrement bien dans le cycle de la vie : les parents engendrent les enfants, mais ce sont les enfants qui font que les parents deviennent parents. C’est une logique systémique.

Par exemple, l’eau se donne au bois, mais le bois « donne envie » à l’eau de se donner à lui. Il l’attire. En entreprise, l’actionnaire ne doit pas se contenter de lire les rapports financiers. Ce qui doit l’intéresser avant toute chose, c’est la condition des autres éléments du système. 

Autre exemple : le feu (le manager), nourrit la terre (les collaborateurs opérationnels) : il veille à leur motivation et à leur joie (donc à leur productivité) par la garantie de bonnes conditions d’épanouissement. Mais les collaborateurs, eux aussi, se doivent de communiquer avec leur manager : sur leurs envies, leurs talents, ce qu’ils peuvent apporter au collectif. 

Enfin, il y a aussi des effets en « N-2 » : des confrontations saines, qui font le mouvement d’une entreprise.

  • Ainsi, l’eau contrôle le feu : l’actionnaire contrôle l’équipe dirigeante. 
  • Le feu contrôle le métal : parfois, les dirigeants prennent des décisions alors que le juge (le contrôle de gestion ou le juridique) conseille l’inverse.
  • Le métal contrôle le bois : le juridique doit limiter la conquête trop vorace. 
  • Le bois contrôle la terre : le commercial bouscule, à certains moments, l’opérationnel (de la même façon que le guerrier réquisitionne les paysans dans certaines situations). Cela ne marche pas toujours du premier coup, cela peut épuiser les troupes, mais finalement, la terre digère. 
  • La terre contrôle l’eau : la terre est le lit du fleuve. L’actionnaire a besoin des collaborateurs, et sa première mission, c’est la fidélisation

Pour terminer, et si vous souhaitez instiller un peu de cette théorie des 5 éléments chinois dans votre entreprise, voici le conseil qu’Olivier donne à tous les managers : le plus important, c’est l’équilibre dans le temps. En fait, ce que la sagesse chinoise sait, c’est ceci : la seule chose qui ne change pas, c’est que tout change en permanence. Ce qui marche à un moment donné, ne marchera peut-être plus dans 6 mois, et c’est normal. L’impermanence des choses est ce qui fait l’équilibre. Le cycle de l’empereur fonctionne ainsi : tous les 6 mois, il relance un nouveau cycle. 4 mois d’écoute de ses conseillers, 2 mois de réflexion, isolé dans un jardin, puis transmission de ses décisions. 

Et si l’on s’en inspirait un peu ? Le manager, le feu, doit travailler par battements (rappelez-vous, le feu, c’est aussi le cœur). Il éclaire et donne du sens pour faire la connexion entre l’ultime et l’intime, il chauffe en donnant l’envie et la joie, mais il peut aussi brûler, d’où l’utilité d’alterner entre différents temps (je vous parle d’ailleurs toujours de la fréquence). 

  • Temps 1 : l’écoute. Écouter ses collaborateurs de façon ritualisée (outil : 1 à 1) ;
  • Temps 2 : la réflexion. C’est la question primordiale : prenez-vous le temps, à la manière de l’empereur, de vous réserver de vrais temps pour réfléchir, seul ? (outil : organisation) ;
  • Temps 3 : la transmission. Communiquer, transmettre et parler vraiment à vos équipes (outils : DISC, charisme, feedback).

C’est tout pour aujourd’hui, j’espère que cet article sur les 5 éléments chinois dans l’entreprise selon Olivier Bérut vous aura inspiré autant que moi. Si vous souhaitez en discuter, RDV sur le forum ODM. Et pour écouter d’autres interviews aussi enrichissantes que celles-ci, n’oubliez pas de vous abonner au podcast !